CR d'Eric à savourer:
MB Ultime : 230km/+11000m à boucler en maximum 36h et en équipe de deux.
Octobre 2022, après une planification méticuleuse et houblonnée de la saison 2023 à venir, on décide avec mon pote Stéphane Urbain de cocher la date du vendredi 30 juin 2023 en vue de la MB Ultime. On en parle depuis un petit moment déjà. Ca a eu le temps de murir dans nos têtes. Lui comme moi, on a aussi besoin de « renouveau » sur le vélo en sortant des habitudes et des formats connus de XC ou de XCM.
En terme de préparation, on n’aura que très rarement réussi à rouler ensemble durant l’année, sauf en course lors du Gravelman Beaujolais et lors du Raid des Chemins du Soleil. Pour autant, on se connait bien l’un et l’autre et on sait que le binôme fonctionne.
Jeudi 29 juin, nous y voilà !
On récupère nos dossards, plaques de cadre et les 3 sacs de délestages pour les bases de vie du lendemain. On file ensuite se poser sur les hauteurs de Megève pour avaler une assiette de pâtes et pour organiser toutes nos affaires. On tâtonne, on hésite sur quoi mettre dans les sacs. Il y a tout de même un peu de stress dans l’air. On sait qu’on se lance dans l’inconnu. Notre maigre expérience dans le monde de l’ultra se résume au Gravelman du mois d’avril et au fait d’avoir des enfants en bas-âges !
21h, on pose le van sur le parking du départ de course. Tout est prêt pour le lendemain : dodo !
Vendredi 30 juin, vers l’infini et haut-delà !
Petit déj, remplissage des bidons, dépose des sacs de délestages aux organisateurs puis direction la ligne de départ pour un mini briefing. La liste des engagés indiquait 24 équipes. Finalement, sans doute en grande partie à cause de la météo annoncée, seules 19 équipes prendront le départ de la course.
Pour la première fois depuis que je fais du vélo, je suis un peu anxieux. Stéph ne me semble pas des plus rassuré non-plus à vrai dire. J’ai tellement cogité ces derniers jours. Je veux aller au bout, c’est hors de question de bâcher mais le temps m’inquiète tout de même. Il fait déjà froid avant de partir (14°c) et les prévisions annoncent de la pluie, encore et encore de la pluie.
Premier pas : 10h, START !
On part. Ca roule petit rythme, ça change des habitudes. On attaque direct en bosse, +1000m pour se mettre dans l’ambiance. 10h20…il commence à pleuvoir. On s’arrête, on passe une veste de pluie et on repart. Pendant plus de 2h on grimpe. On remonte pas mal d’équipes mais en étant bien dans notre rythme. On roule hyper souple, on lisse au maximum. Il pleut toujours, il ne fait pas chaud et on n’est pas très bavards. C’est assez déroutant, il va nous falloir plusieurs heures pour évacuer le stress et être plus libérés.
Le guidage se fait intégralement au gps. Je suis hyper vigilent à la trace car je veux absolument éviter de faire du rab’ en cas de mauvaise route. Les chiffres de d+ grimpent vite, ceux de la distance beaucoup moins. Le temps de course quant à lui nous fait vite comprendre que la moyenne va être très basse. Pour atteindre Beaufort au km57, il nous faudra plus de 6h alors que nous ne faisons presque aucune pose sauf pour retirer/remettre des couches de vêtements. Dans ma tête, je comprends de fait très vite qu’on part sur au moins 30h de course. On pensait faire moins vu les résultats de l’an dernier mais avec la météo c’est impossible. Le terrain est très gras, très piégeux et il faut s’employer partout car le rendement au sol est nul !
Deuxième pas : Beaufort, km57, ravito 1. Nous sommes 3ème. La descente pour atteindre Beaufort est digne d’une Transvésubienne. Magnifique mais vraiment velue. De solides épingles dans de la pente avec surtout beaucoup, beaucoup de racines et de pavasses. Le tout étant hyper humide, c’est franchement chaud à rouler. Steph en a fait les frais sur une portion pourtant dans grande difficulté. Il perd l’avant et tombe sur son épaule. Crac ! Ah, ça c’est le bruit des ligaments…aïe. On fait un stop d’environ 20’ au ravito pour manger un bout, passer des chaussettes sèches puis on repart pour une boucle d’environ 45km/+2500m qui nous fera repasser par Beaufort.
En bosse on garde notre petit rythme de croisière. Il pleut sans cesse. Stéph commence à grimacer. Je sais qu’il s’est vraiment fait mal à l’épaule. Je vois bien que ça commence à l’handicaper. Je ne sais pas trop quoi lui dire, si ce n’est d’essayer de ne pas y penser et d’en faire abstraction. « Oui, c’est ce que j’essaie de faire ».
On atteint le col de Clou à 1700m. On bascule alors en direction d’Arêches. La descente est superbe. Magnifique sentier de montage en forêt. Technique là encore mais moins soutenu. Pour autant, on ne descend clairement pas comme à notre habitude car Stéph souffre trop dans les passages qui demandent de solliciter le haut du corps et aussi par peur de chuter à nouveau. Ça fait un peu rager de s’être blessé si tôt quand on pense à tout ce qu’il nous reste à faire. Tant pis, il faut faire avec.
Lors du passage à Arêches on nous annonce que nous sommes en 2ème position. On va garder cette place jusqu’au km150 environ.
Il nous faut remonter maintenant au passage de la charmette à 2050m. La montée est difficile et il faudra pousser/porter une bonne vingtaine de minutes sur le haut. Il pleut en continu et on commence vraiment à avoir froid. On fait un stop devant une bergerie déserte vers 1700m. Je change mes gants pour des gants secs mais le mal est déjà fait. J’ai les doigts gelés. Je peine à enfiler les nouveaux. Il faut vite repartir de peur de rester ici frigorifiés.
Au moment de la bascule, deux signaleurs nous annoncent une petite modif’ d’itinéraire. Un passage en crête est retiré car clairement trop dangereux du fait du brouillard et du terrain impraticable. On entame donc une descente de plus de 1300m. J’ai froid, je claque des dents. J’ai du mal à actionner la tige de selle et à passer les vitesses. La descente dans sa deuxième partie est à nouveau vraiment technique avec de nombreuses épingles. Avec ce temps infâme, la nuit arrive bien plus vite que prévue et nous sommes obligés d’installer les lampes pour atteindre Beaufort. Je demande à Stéph de déclipser mon casque, incapable de me servir de mes doigts gelés !
Troisième pas : Km102, on atteint Beaufort après plus de 12h de course ! Je suis littéralement gelé et trempé. Je passe juste un haut sec car je n’ai rien d’autre dans mon sac de délestage. On mange chaud, on s’hydrate puis on repart. Toujours P2. Devant à quelques minutes il y a l’équipe de Fred Ischard. On connait le garçon et la liste longue comme nos quatre bras réunis de course toutes plus barjots qu’il a déjà sorti ! De mon côté, je suis un peu surpris de nous savoir deuxième car je n’ai vraiment pas l’impression d’être parti vite. Je sais cependant que tenir la place jusqu’au bout sera peut-être difficile et qu’il peut se passer encore tellement de chose. L’important à mes yeux est de boucler, quoi qu’il puisse se passer.
Quatrième pas : en route vers la base de vie des Saisies !
Cette fois on rentre dans le début de la nuit. Lampes en place, batteries dans les sacs, on grimpe vers le Mt Bisanne à 1940m. 1200m de d+ à avaler dans le noir total et, toujours sous la flotte. On garde notre petit rythme. On papote un peu en se demandant pourquoi on s’inflige des trucs pareils. Vers 1h du matin, on arrive enfin à la base de vie n°2. Gelé, je file direct prendre une douche et passer des vêtements secs. On mange à nouveau chaud. Les 3ème arrivent une vingtaine de minutes après nous. Eux font le choix de dormir un peu.
Je n’ai pas sommeil. Je me rappelle des conseils de Sam : « soit patient » et « en dessous de 28h le sommeil c’est physiologiquement pas nécessaire ». J’ai envie d’enchainer. Je demande à Stéph. Il semble ok pour poursuivre.
Cinquième pas : seuls dans le brouillard et l’obscurité
Un gros morceau de presque 50km nous attend avant le prochain ravito. En déniv ça doit presque approcher les +2500m. On roule toujours sous la flotte. Mon moral est toujours bon mais je sens que Stéph commence à coincer. Le rythme baisse et surtout, je comprends que le sommeil le rattrape. Clairement, il s’endort sur le vélo ! C’est impressionnant. Après un long chemin de croix on arrive au lac du Gui à 1730m. Stéph me dit qu’il doit dormir. Il fait très froid, peut-être 5°c au mieux. Il pleut. Ici, il n’y a rien sauf un cabanon plein de boue. On hésite mais clairement si on s’arrête là on va finir en hypothermie. On décide donc de basculer sur la descente. C’est à nouveau un superbe sentier technique. L’adrénaline va maintenir Stéph en éveille. Une fois en bas au petit village du Crêt, on s’arrête. Cette fois c’est trop. Stéph sort la couverture de survie et il va dormir 20 minutes devant une porte de garage. Je ferme à mon tour les yeux et je profite moi aussi de ce moment pour souffler. Je mets un réveil de peur que flancher mais finalement je ne m’endormirai pas.
20’, on repart.
Ça va mieux. Les 3ème sont passés devant nous. Visiblement leur choix était meilleur que le nôtre. Lors de leur passage à nos côtés ils ont eu un petit mot sympa. Clairement, il n’y a pas réellement d’esprit de compétition ici. On est tous dans la même aventure et on sent de la bienveillance entre les équipes. Ça fait plaisir !
Notre route nous mène enfin au col de l’Arpettaz, km175.
Sixième pas : il faut serrer les dents, on va finir !
On a plus de 3h d’avance sur la barrière horaire. Techniquement, on sait qu’on peut aller au bout. Il n’y a pas de raison qu’on soit mis hors course, sauf si on arrivait au-delà des 36h imposées.
Stéph en profite alors pour dormir à nouveau 20’ au refuge du col. De mon côté, j’allume mon téléphone et je vois tous les messages des copains, d’Amélie et de Sam ! 17 messages de Sam ! Je comprends que là-bas, à Monnac il est derrière son écran à suivre le live. C’est chouette et ça boost bien évidemment. «L’abandon est irrémédiable, la douleur s’oublie », «Tout ce temps d’entrainement pour s’arrêter maintenant c’est trop tard », « Pas de social là ! ». Ça me fait rire. Quand Stéph ouvre les yeux je lui dis qu’à St Ju tout le monde est derrière nous. Il reste 55km/+2500m, soit en gros une petite étape du RDCS. Ça va piquer, ça va être encore long mais je suis maintenant persuadé qu’on va sortir ce chantier !
Km190 on arrive à la dernière base de vie. On mange. Je dépose mes lampes car j’estime qu’on finira de jour. Je garde juste une frontale en cas de pépin.
Dernier pas : pas de fourmi mais pas quand même !
On atteint le km200. Comme les organisateurs sont sympas, ils nous gratifient d’un long, long, long portage jusqu’au col de Niard 1830m. On va y passer plus de 50’. La fatigue devient vraiment présente et aussi des douleurs aux pieds, aux bras. J’aide un peu Stéph pour passer son vélo à un moment donné car avec son épaule c’est un calvaire pour lui.
Enfin, on bascule vers Cordon.
La descente est horrible ! 1000m d’une traite, intégralement sur une piste forestière. Elle n’a absolument aucun intérêt. Ça me fait râler car je me dis que dans le coin ça ne doit pas être les belles traces qui manquent. Le seul point positif que j’y trouve c’est que ça aura été efficace.
On arrive donc à Cordon pour le dernier ravito. On fait un court stop et on se lance dans la dernière bosse. 800m de d+, d’abord sur un peu de route puis très rapidement sur une piste très, très pentue ! Au moins 20%, sur un chemin hyper gras. Même sur une sortie « normale » elle doit être difficile à passer à vélo mais alors là, c’est l’enfer ! On s’épuise pour sortir quelques portions et on pousse nos vélos sur une très grosse partie. On avance à pas de fourmis.
Un dernier single en bosse nous conduit au col du Jaillet où on va enfin basculer vers l’arrivée.
On cafouille un peu dans la descente car on emprunte des portions de la MB ultra et aussi de l’enduro. C’est pas grave, on est au bout !
Coup d’œil au gps : 34h ! Bordel 34h que nous sommes partis !
Arrivée : on passe enfin cette ligne d’arrivée. Le speaker nous annonce 7ème. Il n’y aura en fait que 8 équipes qui finiront la course et un pilote seul que l’orga à autorisé à terminer sans son équipier à condition qu’il roule toujours en compagnie d’une autre équipe. Les 1er bouclent en 29h contre 21h en 2022 ! Clairement, la météo à énormément compliqué la course. Les autres équipes ont abandonné.
Beaucoup d’émotion sur la ligne. D’abord la satisfaction d’être allé au bout. La reconnaissance envers Stéph qui a fait preuve d’une abnégation totale vis-à-vis de sa douleur et qui n’a jamais lâché le morceau. L’impression d’avoir vraiment passé un cap, de m’être découvert et aussi la certitude d’avoir ouvert ici un véritable moment de vie que je ne suis pas prêt d’oublier !
Merci aux copains pour leurs messages durant la course.
Merci à Amélie pour tes messages et aussi ta patience de ces derniers jours où j’étais sans doute un peu plus en boucle sur le vélo que d’habitude.
Merci Sam pour tes conseils, pour le partage d’expérience et pour toutes les bières qu’on a descendu à blablater autour de tout ça.
Merci Stéph d’avoir accepté cette course, de m’avoir supporté pendant ces longues 34h sans jamais te plaindre et toujours avec le sourire !
Enfin, merci à ceux qui nous aident matériellement :
Mondovelo Le Puy En Velay
K-Lamp France Eclairages Sports et Loisirs
Performance Bike Suspension
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je l'ouvre parce que je roule